CORPUS DE
GÉRIATRIE- TOME 2
I-1 LE CONCEPT DE FRAGILITEI-2 LA FRAGILITE : UNE ORIGINE MULTIPARAMETRIQUE
1-2-1 La fatigabilité fonctionnelleI-3 LA FRAGILITÉ : UNE TRADUCTION MULTIDIMENSIONNELLE
1-3-1 Fonction musculaire : la sarcopénie1-3-2 Vieillissement cérébral, fragilité et neurodégénérescence
1-3-3 Fragilisation du sytème immunitaire
1-3-4 Mais il existe bien d'autres manifestations de la fragilité...
2 SAVOIR EVALUER UNE FRAGILITÉ : "COMPREHENSIVE GERIATRIC ASSESSMENT
2-1 LA METHODOLOGIE DU CGA2-1-1 L'évaluation gérontologique standardisée proprement dite2-2 SAVOIR MAÎTRISER LE CGA, C'EST AUSSI...
2-2-1 savoir intégrer le temps comme variable explicative2-2-2 savoir mesurer la fragilité à tous les stades évolutifs
2-2-3 contribuer à une stratégie axée sur la prévention
2-2-4 Bien distinguer les tests objectifs des autoquestionnaires
3-1 TRAVAILLER EN ÉQUIPE3-2 SAVOIR HIERARCHISER POUR AGIR
3-3 DANS DES CAS DE FRAGILITÉ INITIALE...
3-4 AIDER À LA PRISE DE CONSCIENCE INDIVIDUELLE DES RISQUES DE FRAGILITÉ
4 FRAGILITE ET DEMARCHE QUALITE
INTRODUCTION
Le terme de fragilité est
largement utilisé dans notre langage quotidien. Sa
reconnaissance en gérontologie est récente, bien qu'on
puisse considérer que les travaux de Rubenstein (1984)
représentent un des jalons majeurs de l'appropriation du
concept.
A ce jour la notion de fragilité n'est pas totalement définie ; elle dépend encore largement de la perception des différents acteurs de terrain (voir, par exemple : Gonthier, 2000. Lebel, 1999. Rockwood, 1994. Rockwood, 2000. Walston et Fried, 1999). Les moyens d'évaluation et de prise en charge de la fragilité mériteraient de nombreuses études complémentaires.
Néanmoins le concept est suffisamment porteur pour qu'on ne puisse plus le passer sous silence, tant il va révolutionner la pensée et la démarche gérontologique.
Le but de ce chapitre est de tenter,
I - d'apporter (en objectif de savoir) une meilleure compréhension du concept, dans ses causes biologiques et dans la versatilité de ses tableaux révélateurs,II - d'apporter (en objectif de savoir faire) les rudiments des méthodes permettant de mesurer la fragilité avec pertinence,
III - d'apporter (en objectif de savoir être) une réflexion sur la pratique de l'évaluation de la fragilité et de son management afin de mieux optimiser la prise en charge de la PA à tous les stades du vieillissement, usuel comme pathologique.
Le premier point sera plus
particulièrement développé puisque les 2 autres
sont largement repris dans les chapitres concernant
l'évaluation, la prévention et les méthodes de
prise en charge associées.
I
- CONNAITRE LA FRAGILITE :
I-1
LE CONCEPT DE FRAGILITE : PLACE DE LA FRAGILITÉ DANS
L'ENSEMBLE DES PROCESSUS DU VIEILLISSEMENT
HUMAIN.
La fragilité ("frailty" et "frail elderly" des anglo-saxons)
ne peut être assimilée au terme général de
vieillissement, résultante conjoncturelle entre les facteurs
de longévité et les facteurs de sénescence. La
fragilité n'est qu'une des composantes des risques liés
à l'avance en âge. Nous verrons plus loin qu'elle est
à l'origine de ce que les anglo-saxons appellent le
"'vieillissement usuel" (il vaudrait mieux parler de vieillissement
par usure).
La fragilité peut alors être grossièrement définie comme un état instable correspondant à une sous population de personnes âgées soumises à une désadaptation des systèmes homéostasiques, aboutissant à un déficit progressif des fonctions physiologiques et cellulaires, avec une diminution des capacités de réserve, et une limitation précoce et insidieuse des aptitudes relationnelles et sociales ; cette limitation représente souvent le premier signe tangible dune vulnérabilité qui s'instaure.
Il en résulte, avec l'apparition de déclins fonctionnels, une diminution des aptitudes à faire face. La survenue d'un facteur mineur, comme une pathologie même bénigne ou un stress exogène, peut alors engendrer un état morbide incapacitant hors de proportion avec l'agression initiale.
Plus généralement, une caractéristique fondamentale de la fragilité est un décalage entre le stimulus et la réponse, que celle-ci s'inscrive dans le domaine moteur ou dans le registre comportemental. Pour illustrer la notion de décalage, parmi la multitude de situations qui pourraient être déclinées, nous citerons 2 exemples opposés :
- l'attitude excessive et caractérielle d'une personne âgée face à l'entourage, lors de situations banales de la vie quotidienne,- inversement, la réaction motrice insuffisante d'évitement pour prévenir une chute.
L'apparition de la fragilité, et son évolution sont très variables selon les individus. Mais dans tous les cas, et en dehors d'une prise en charge spécifique, la fragilité conduit à l'amplification de déficits fonctionnels multiples et/ou au renforcement des situations pathologiques existantes. La personne âgée devenue fragile est alors exposée à une morbidité incidente accrue, avec la survenue ou l'accentuation des pertes d'autonomies pouvant conduire à la dépendance. En bout de compte, on peut dire que la fragilité justifie à elle seule une identification de la discipline gériatrique, avec un savoir faire spécifique pour évaluer et prendre en charge ce que certains appèlent "les syndromes gériatriques".
En ce sens, la fragilité doit être bien individualisée des autres formes caricaturales du vieillissement humain :
- Le vieillissement pathologique : c'est un vieillissement où une ou plusieurs grandes fonctions physiologiques , un ou plusieurs organes, sont plus spécifiquement altèrés, de façon prévalente, avec l'avance en âge. En terme statistique, ces pathologies associées réduisent l'espérance de vie. Les pathologies prévalentes avec l'âge sont nombreuses et ne peuvent être toutes citées. La survenue d'une pathologie démentielle, et en particulier les démences de type Alzheimer, repésentent un exemple caractéristique de ce vieillissement pathologique.
- Inversement, le vieillissement avec succès est la forme idéale de vieillissement. Les situations morbides sont rares ou absentes, sans incapacités majeures (ou simplement la présence d'incapacités mineures liées au vieillissement, et pour lesquelles la personne âgée sait trouver des moyens directs ou indirects pour s'adapter ou pour compenser les déficits).
Notons alors que le vieillissement pathologique cité dans le paragraphe précédent est à distinguer des situations où la maladie diagnostiquée évolue "per se", dans le domaine nosologique qui lui est propre ; Dans ce cas, la personne âgée maintient pratiquement intacts les autres paramètres fonctionnels, en assurant un équilibre homéostasique suffisant. Si la maladie est jugulée et/ou disparaît, la restitution des capacités se fait ad intégrum, et la personne âgée rejoint la typologie du vieillissement avec succès.
Bien entendu les 3 formes de vieillissement sont liées. Tôt ou tard le vieillissement avec succès bascule vers les deux autres formes ; par ailleurs, le vieillissement pathologique et la fragilité peuvent s'associer, avec une amplification réciproque des conséquences morbides. En bout de compte, on pourrait dire que le vieillissement pathologique représente la part médicale de la fragilité, venant se surajouter à elle, et l'aggravant.
C'est là une justification supplémentaire pour reconnaître la spécificité de la prise en charge globale en gérontologie. C'est aussi l'occasion de constater que la variabilité individuelle des risques de fragilité impose, en gérontologie plus qu'ailleurs, d'évaluer et prendre en charge très spécifiquement chaque cas de patient.
I-2
LA FRAGILITE : UNE ORIGINE
MULTIPARAMETRIQUE
Les déterminants de la fragilité sont complexes et
multiples, intriquant des facteurs intrinsèques et
environnementaux. Mais dans tous les cas, on retrouve deux causes
cytophysiologiques fondamentales : une fatigabilité
fonctionnelle générant des réponses plus
limitées, mais aussi une désadaptation aux situations
de stress.
1-2-1 La
fatigabilité fonctionnelle.
Les causes sont à la fois stochastiques (cumul des erreurs, par exemple sous l'action itérative des radicaux libres ou sous l'influence du processus de glycation), mais aussi conditionnées par un déterminisme génétique (sensibilité variable au risque de mutagénèse somatique ; capacité variable à la maintenance des processus de réparation de l'ADN ; réduction télomérique progressive mais aléatoire en fonction de l'âge, etc.).
Dans tous les cas l'atteinte moléculaire et cellulaire se solde par 3 modifications cytophysiologiques sytématiquement retrouvées :
- un retard dans la réponse à un stimulus ou un ralentissement dans la cinétique de réponse.- une diminution de la réponse maximale au stimulus
- une incapacité à répondre à l'identique à des stimuli itérativement appliqués, aboutissant à un épuisement beaucoup plus précoce.
A titre d'exemple, citons 2 cas de fragilité cellulaire au niveau membranaire :
- la fragilité des membranes plasmiques, en grande partie reliée à une moindre fluidité, provoque une perte progressive de la capacité des récepteurs, avec désensibilisation de ceux-ci ("down régulation" du récepteur à l'insuline avec le vieillissement, dérégulation hypothalamique du feedback de contrôle de la libération de l'hormone de croissance sous l'action de l'IGF1 circulant, désensibilisation du système cholinergique y compris au niveau des unités motrices musculaires, etc.).
- la fragilité membranaire explique aussi la moindre affinité des transporteurs (exemple : précarisation de l'apport immédiat de glucose dans la cellule musculaire, et encore plus aux neurones).
1-2-2 La
désadaptation aux situations de stress.
C'est un concept insuffisamment évoqué. Cette désadaptation est liée :- à une moindre capacité cellulaire pour produire les protéines du stress (en particulier les protéines chaperones : elles sont nécessaires à la mise en configuration tertiaire des protéines ; elles sont impliquées dans la majorité des trafics intracellulaires, dans les turnovers membranaires et réceptosomiaux ; elles constituent une partie des récepteurs aux stéroïdes, etc.)`
- à une réponse altérée des hormones du stress.
En cause ou en conséquence la fragilité liée au vieillissement provoque, via l'altération des récepteurs spécifiques, une mauvaise réponse sécrétoire des glucocorticoïdes et des catécholamines (mais aussi des autres hormones impliquées dans le stress). La réponse hormonale immédiate peut devenir insuffisante pour être parfaitement efficace durant l'épisode de stress (surtout s'il s'agit de stress répétés). Mais surtout, la sécrétion hormonale peut se poursuivre au-delà de l'épisode de stress (la figure 1 illustre un exemple chez le rat, où l'expérimentation comportementale est plus aisée. Il existe des preuves similaires chez l'homme, mais en ayant recours à des méthodes expérimentales plus indirectes). Comme le montre la figure, il en résulte une imprégnation tissulaire inutile et trop prolongée, en particulier par le cortisol et ses dérivés.
Figure 1 : Chez le rat âgé, et pour la même intensité de stress provoqué, la libération des glucocorticoïdes peut être moins efficace pendant l'épisode agressif. Au contraire, la libération de corticostérone (et des autres hormones du stress) se poursuit bien au delà du stress, entraînant une hyperadrenocorticisme prolongé. Schéma interprété à partir des travaux de Sapolsky (1986), Gilad (1993), Hebda-Bauer (1999).
Ces épisodes infra cliniques mais répétés
d'hyperadrenocorticisme sont alors susceptibles de fragiliser
certains métabolismes ou certains organes (en particulier le
muscle, le tissu osseux, le système nerveux et le
système immunitaire). A plus long terme, le cumul des
épisodes de fragilisation, surtout s'ils sont
rapprochés, induira des déséquilibres majeurs,
expliquant la gravité de certains tableaux de fin de vie, les
particularités du syndrome de glissement, ou même celles
des déficiences multiorganiques complexes (multiorgan failure
in elderly ou syndrome "MOFE").
C'est l'hypothèse de Sapolsky (1986) représentée
sur la figure 2 et actuellement reprise par de nombreux auteurs. Un
hyperadrénocorticisme latent, lié aux
dysfonctionnements des récepteurs peut largement participer,
par le biais des corticoïdes, à faciliter l'affaissement
des capacités immunitaires, la fonte musculaire,
l'ostéoporose, et divers troubles métaboliques.
D'autres travaux ont montré que le statut cognitif des sujets
âgés était significativement plus
altéré chez ceux pour qui le contrôle
négatif de réponse aux glucocorticoïdes est
altéré (autrement dit, pour lesquels le cortisol ne
s'abaisse pas après un test à la
dexaméthasone).
Cette fragilité (modulée par le nombre de stress
reçus et par les capacités résiduelles) permet
alors de mieux comprendre le "vieillissement usuel" : avec une date
de survenue et une chronologie évolutive éminemment
variables d'un individu à un autre, les personnes
âgées vont subir des déficits fonctionnels et des
incapacités engendrant des pertes d'autonomies en cascade qui
finissent par conduire à l'impossibilité de "faire
seul", et donc aux états de dépendance sur lesquels
vont presque toujours se greffer les situations de poly
pathologies.
Figure 2 : Schéma remanié et interprété à partir de l'hypothèse initiale de Sapolsky (1986)
La figure 3 objective une des causes essentielles de la fragilité : ce sont des situations de "cap" (mort du conjoint ; déménagement, hospitalisation ou institutionnalisation mal préparés ; chocs psychologiques divers ; accident ; chute, même sans gravité ; maladie intercurrente même mineure, etc.) qui engendrent l'aggravation du déficit et/ou de la perte d'autonomie. Les "caps" sont des situations d'agression face aux quelles la personne âgée n'est plus capable de faire face par fatigabilité. Il s'agit bien d'une réelle désadaptation à une situation de stress, aux conséquences rarement récupérables ad integrum sans stratégie préventive ou de prise en charge, et évoluant presque toujours vers une niveau fonctionnel et d'autonomie inférieur à l'état antérieur, même si une récupération partielle est possible. De cap en cap, le déclin s'accentue et implique, à chaque palier, la mis en place d'un nouvel équilibre, plus précaire, avec une fourchette plus restreinte des capacités intrinsèques d'adaptation de la personne âgée.
Figure 3 : La place de la fragilité et des épisodes de désadaptation au stress (situations de « cap») dans le cheminement conduisant la personne âgée d'un vieillissement réussi vers le vieillissement usuel, avec ses déficits fonctionnels, les pertes d'autonomie, in fine, vers l'état de dépendance. Schéma interprété à partir des travaux de B. Vellas et al (1992)
Il faut cependant se garder des schémas trop simplistes. Même si la fragilité et le vieillisement usuel sont largement conditionnés par les désadaptations aux situations de cap, d'autres facteurs entrent en jeu.
- Il faut bien sûr prendre en compte la part dévolue au vieillissement intrinsèque, en particulier au niveau de fatigabilité cellulaire et tissulaire (voir plus haut). Malheureusement, le niveau de vieillissement intrinsèque reste encore difficile à mesurer par des tests qui seraient utilisables en pratique quotidienne.- Il faut également inclure l'ensemble des composantes socio-environnementales qui conditionnent le vécu journalier de la personne : le niveau d'isolement familial et social (en particulier le veuvage, au delà de l'épisode aigü de cap survenant à la mort du conjoint), les situations de précarité et de pauvreté, la qualité de l'habitat et de l'urbanisme, le niveau domotique, etc ,
- Le profil psychologique de la personne âgée apporte également sa part contributive à l'évolution de la fragilité : tendance obsessionnelle, tendance anxio-dépressive, divers petits troubles comportementaux. Certains vieillards fragiles sont bien souvent des pré-déments méconnus.
- Enfin certains gérontologues insistent sur le concept de «non utilisation». Avec l'avance en âge, de nombreux individus négligent et/ou abandonnent un certain nombre d'activités régulièrement pratiquées jusqu'alors, sans qu'il y ait des raisons fonctionnelles ou socio-environnementales tangibles. Le syndrome de "non utilisation", en cause ou en conséquence, est très sûrement une des composantes du vieillissement usuel.
Au syndrome de non utilisation on peut associer la tendance au confinement et au repli sur soi que l'on peut observer dans des formes débutantes de vulnérabilité (en dehors même de causes objectives pouvant expliquer une fragilité)
En bref, la composante multiparamétrique de la fragilité explique que le déroulement chronologique du vieillissement usuel soit très différent d'un individu à un autre (le concept de fragilité justifie le proverbe "nous ne vieillissons pas ensemble").
Si la fragilité est à l'origine du vieillissement usuel et précède l'apparition du déclin fonctionnel et de la perte d'autonomie, la fragilité perdure ensuite et s'accroît, alors que les signes objectifs surviennent : la fragilité s'inscrit aussi dans un continuum. Toujours présente, elle sera largement responsable de la particularité des tableaux gériatriques jusqu'à la fin de vie.
Le concept de fragilité exclut, de facto, la tendance qui a trop longtemps prévalu d'une simple assistance des états liés à la vieillesse : bien des "caps" pourraient être devancés par une stratégie appropriée, ou pour le moins mieux accompagnés (aides et/ou soins temporaires plus précoces), bien des situations pourraient être améliorées, ce qui aurait pour effet de limiter les conséquences de la fragilité. En ce sens la fragilité est intimement liée à l'attitude préventive de la démarche gérontologique moderne (de la prévention primaire à la prévention tertiaire).
Signalons aussi que la notion de caps et de stress permet d'intégrer l'ensemble des facteurs agressifs ressentis par la personne âgée. Il est alors facile de comprendre que des facteurs extrinsèques (environnementaux, sociaux et relationnels) sont à prendre autant en compte que des facteurs intrinsèques (maladie organique, dénutrition, état dépressif), pour expliquer la fragilisation au cours du vieillissement. La figure 4 fournit alors une autre représentation, incluant la chronologie évenementielle.
Figure 4 : La cascade de la
fragilité, interprétée à partir des
travaux de K. Rockwood.
Prendre en charge les risques de fragilité de la personne
âgée impose de tenir compte d'une multitude de facteurs
(en particulier socio-relationnels et environnementaux) qui
s'associent pour d'abord conduire à une
vulnérabilité croissante et à la perte des
capacités de réserve. La vulnérabilIté,
qui ne se traduit au début par aucun signe physiologique,
précède ainsi les risques objectifs de fragilité
et les déficits fonctionnels de certaines fonctions (statut
cognitif, humeur, organes des sens, motricité et
équilibre, système immunitaire, nutrition,
contrôle sphinctérien, etc.). Notons que la
vulnérabilité initiale se traduit très
fréquemment par une tendance au confinement de la personne
âgée, sans raisons apparentes objectives. La suite
évolutive de la fragilité conduit aux
incapacités, d'abord transitoires, ensuite permanentes. Les
conséquences évolutives en seront la perte d'autonomie,
avec la greffe fréquente des poly pathologies, et en bout de
compte l'entrée en dépendance majeure.
En résumé, pour bien
comprendre les besoins de la personne âgée, le
médecin se doit de toujours associer une approche globale,
à l'approche par pathologies. L'évaluation des
situations de fragilité, avec une meilleure connaissance des
capacités fonctionnelles et de la situation environnementale,
est indispensable pour comprendre la situation immédiate du
patient. Elle contribuera à un diagnostic plus précis,
tout en permettant de mieux hiérarchiser les interventions de
prise en charge et de proposer des actions thérapeutiques
pertinentes
I-3
LA FRAGILITÉ : UNE TRADUCTION
MULTIDIMENSIONNELLE
Si les tableaux de fragilité sont à peine
perceptibles au début, ils finissent cependant par
précipiter la personne âgée dans la spirale qui
conduit à la dépendance et/ou aux poly
pathologies.
Eu égard aux causes profondes et globales de la fragilité, il est facile de concevoir que son expression est toujours multidimensionnelle, pouvant à des degrés divers toucher les différentes fonctions physiologiques et n'importe quel organe, avec des niveaux d'expression éminemment variables en fonction du temps écoulé.
Néanmoins, l'expérience montre que 5 items constituent des impacts majeurs de la fragilité (et ultérieurement des incapacités allant à la perte d'autonomie) :
- la fragilisation du statut cognitif et de la balance émotionnelle,- la fragilité motrice (force, endurance, tonus de posture, équilibre et marche),
- Par voie de conséquence, et au tout début, ces 2 premiers items sont souvent révélés par la difficulté à affronter divers problèmes de la vie quotidienne et de la vie relationnelle,
- les troubles d'incontinence (souvent révélateurs d'une fragilité qui s'amplifie),
- et surtout la dénutrition qui, en cause ou en conséquence, aggrave les autres fragilités et en particulier potentialise la fragilité immunitaire et musculaire, mais aussi cognitive et émotionnelle.
Il y a bien d'autres facteurs de risques qu'il convient de prendre en compte. Mais en simplifiant on constate que l'évaluation de ces 5 risques majeurs permet de diagnostiquer simultanément la plupart des autres domaines de la fragilité (les déficits sensoriels par exemple, le risque iatrogénique, la composante inflammatoire et l'hypercatabolisme, etc.).
Il n'est pas classique, dans la littérature internationale, d'incorporer la douleur comme facteur de risque de la fragilité : elle figure rarement dans les grilles du « comprehensive gériatrique assessement » (CGA, voir le paragraphe 2). Nous l'avons cependant rajoutée. Sans pouvoir développer cette notion (largement reprise dans d'autres chapitres du corpus), souffrances et douleurs ont un impact considérable sur les capacités à faire face chez la personne âgée. Certes, le niveau algique n'est pas une cause directe de la fragilité, mais il participe fortement au risque d'aggravation de la cascade. Un bilan CGA doit donc permettre d'apprécier l'existence, ou non, de douleurs dans leurs composantes directes (durée, intensité, localisation). Si la douleur est présente, elle impose de rechercher le retentissement sur le niveau d'angoisse-dépression et sur le niveau d'invalidation des capacités à effectuer les activités de la vie quotidienne. Enfin, l'analyse de la prise en charge de la douleur doit systématiquement rechercher si l'antalgie est bien obtenue tout au long du nycthémère, et plus particulièrement la nuit : la situation de fragilité est toujours amplifiée par la douleur mais aussi par la précarisation des épisodes de sommeil.
Si le terme de fragilité n'est pas toujours prononcé, il est cependant contenu dans de nombreux chapitres du corpus (tel, l'exemple de la douleur que nous venons de citer, mais aussi l'incontinence, la dénutrition, etc.).
Pour clore ce paragraphe nous ne développerons que 3 domaines d'expression de la fragilité : la sarcopénie, l'amplification possible du vieillissement cérébral et la fragilisation liée au dysfonctionnement immunologique, sachant que toutes les grandes fonctions et appareils physiologiques peuvent être touchés, en particulier les systèmes cardiovasculaire et respiratoire.
I-3-1
Fonction musculaire : la sarcopénie, une des facettes majeures
de la fragilité
(Roubenoff, 2000. Morley, 2001)
La fonte musculaire est incontournable avec le vieillissement. Mais la sarcopénie physiologique (sarcopénie = perte de viande, au sens étymologique) reste néanmoins acceptable lorsque la personne âgée vieillit avec succès et entretient sa masse musculaire par des exercices réguliers (la perte musculaire n'excède guère 20% jusquau très grand âge et n'a que peu ou pas de retentissement).
Mais la fonte musculaire peut aussi devenir dramatique, dès que la personne âgée se dénutrie. Ce n'est plus le simple déficit de synthèse sarcomérique qui est en jeu : la fonte musculaire est alors liée à une exacerbation des mécanismes de protéolyse (et d'apoptose dans les cas extrêmes), avec activation des protéasomes (des milliers de micro organites destructeurs au sein de nos cellules, et ubiquitine dépendants). Paradoxalement la protéolyse gérée par le protéasome consomme de l'énergie sous forme d'ATP, alors que la personne âgée est déjà en carence d'apport !
Pire, la sarcopénie est fortement amplifiée par la désadaptation au stress, sous l'influence de la libération accrue du cortisol. Cet hypercatabolisme sera encore plus amplifié si un état inflammatoire apparaît (voir plus loin). Or nous savons bien que la dénutrition chez la personne âgée aggrave la déficience immunitaire. D'une dénutrition physiologique, qui pouvait être acceptable, la fragilité conduit à une situation où l'on peut affirmer que la personne âgée en situation de stress (hospitalisation, mort du conjoint, état infectieux, etc.) "ronge" ses muscles très rapidement pour entrer dans un cercle vicieux qui aboutit à des tableaux de grande cachexie difficilement récupérables.
Pour certains auteurs, la sarcopénie représente même l'élément majeur, voire l'indicateur, de la fragilité.
1-3-2 Vieillissement
cérébral, fragilité et
neurodégénérescence
La désadaptation au stress est encore plus sensible au niveau du cerveau. On sait que par des voies complexes, le stress peut être bénéfique, en favorisant la différenciation et la plasticité du système nerveux central. Mais les mêmes voies peuvent bifurquer et emprunter celles de la neurodégénérescence (voie apoptotique).
Citons en particulier la "NO hypothesis of aging" (McCann, 1998), dont nous fournissons un aperçu très partiel sur la figure 5, , sachant qu'il conviendrait d'associer de nombreuses autres voies impliquées dans le vieillissement cérébral (Calabrese, 2000 ; Drew, 2000 ; Levy, 1994)
Figure 5 : La fragilité cérébrale interprétée à partir de l'hypothèse de McCann (1998)
Avec l'avance en âge, et pour un niveau identique de stimulus déclenchant la situation de stress, la voie de la neurodégénérescence risque d'être privilégiée par rapport à l'activation neuronale conduisant à une plasticité cérébrale qui permet de faciliter la connectique neuronale et les adaptations. Des travaux récents sont encore plus passionnants (Chan,1999 ; Nakagawa, 2000) : il est désormais possible d'entrevoir des schémas unitaires suggérant que les risques de fragilité cérébrale ont des étiologies multiples qui peuvent converger sur des voies cellulaires communes (figure 6).
Avec l'avance en âge, le niveau de neurodégénérescence pourrait être variable en fonction du cumul des diverses atteintes exogènes, ou de l'aspect qualitatif du patrimoine génétique. Il est fort probable que ces mêmes travaux permettront de mieux comprendre comment une fragilité, conduisant à un vieillissement cérébral normal, bascule chez certains individus vers les états démentiels (type Alzheimer).
Avec l'avance en âge, et pour un niveau identique de stimulus déclenchant la situation de stress, la voie de la neurodégénérescence risque d'être privilégiée par rapport à l'activation neuronale conduisant à une plasticité cérébrale qui permet de faciliter la connectique neuronale et les adaptations. Des travaux récents sont encore plus passionnants (Chan,1999 ; Nakagawa, 2000) : il est désormais possible d'entrevoir des schémas unitaires suggérant que les risques de fragilité cérébrale ont des étiologies multiples qui peuvent converger sur des voies cellulaires communes (figure 6).
Figure 6 : La caspase 12 et la calpaïne mitochondriale : une hypothèse pour un carrefour entre les différents facteurs stochastiques ou génétiques, inducteurs de l'apoptose cérébrale
En effet, nous savons que le vieillissement cérébral normal touche des zones très particulières du cortex archaïque, dans la zone proche de l'hippocampe (circuit de Papez). Pourtant la maladie d'Alzheimer n'apparaîtra chez certains que lorsque le processus va dépasser la zone de l'hippocampe. Pourquoi ? Une raison génétique ? Un cumul d'autres causes stochastiques ? Sûrement tout cela...
Une certitude : ces nouveaux concepts de la fragilité cellulaire cérébrale sont également un argument pour agir à titre préventif sur la cognition et l'humeur ; ils justifient pleinement le concept des MCI (« mild cognitive impairment »), avec une prise en charge de plus en plus précoce.
1-3-3 Fragilisation du
sytème immunitaire : la triade dénutrition,
déficit immunitaire, hypercatabolisme ; ses
conséquences
Chez les personnes âgées vieillissant avec succès, contrairement à de nombreuses données de la littérature, le système immunitaire ne subit que peu de changements.
Il en est tout autrement lorsqu'une dénutrition survient : la dénutrition est le facteur déclenchant d'une fragilité croissante.
Figure 7 : La triangulation morbide
age-dénutrition-inflammation dans le processus de
fragilisation de la personne âgée.
Par lui-même, l'âge n'entraîne que peu de
retentissement sur la fonction immunitaire. La dénutrition est
par contre un facteur majeur damplification de la
fragilité
Ce schéma permet de comprendre qu'il est impératif,
malgré l'anorexie, de tout mettre en oeuvre pour instaurer,
chez la personne âgée malade, une stratégie
d'hyper alimentation pour rompre le cercle vicieux de la
fragilisation liée à la dénutrition et/ou
à l'hypercatabolisme.
Les mécanismes sont multiples et en cascade, et ne peuvent être décrits en détail dans ce chapitre. Nous ne signalerons que quelques points essentiels (Lesourd, 1999. Morley, 2001) :
- des déficits nutritionnels même peu importants, avec une albumine encore sub-normale, sont susceptibles d'induire une diminution de la capacité prolifératrice des lymphocytes impliquant une diminution des mécanismes de défense et donc un risque de prolongation de toute situation infectieuse.- très rapidement, une dénutrition plus importante pourra ouvrir la voie de l'hypercatabolisme (souvent lié à des infections infra cliniques), puis faire le lit d'états inflammatoires amplifiés par les réponses sécrétoires anormales de certaines cytokines (Il1, Il6 et TNF principalement) qui prolongent la réponse désadaptée au stress. Il en résulte une fragilisation encore plus importante du système immunitaire.
- en réciproque, les sécrétions anormales de IL1, Il6 et TNF vont à long terme encore aggraver l'état trophique de très nombreux organes : protéolyse musculaire accrue, lipolyse, hypoinsulinémie et mauvaise utilisation du glucose, ostéoclasie et fuite calcique, dérégulation de la synthèse protéique hépatique, etc. À plus court terme, la sécrétion anormale des cytokines amplifie les tableaux de réponse et simule une agression plus longue, plus ample, plus grave.
- Dans l'interaction morbide entre la dénutrition et l'hypercatabolisme inflammatoire, le dysfonctionnement hépatique est particulièrement important à prendre en compte. Non seulement les protéines de phase aiguë sont très augmentées (CRP, orosomucoïde) mais simultanément le foie n'est plus capable de synthétiser en quantité suffisante des protéines de transport aussi essentielles que l'albumine et la préalbumine. On comprend alors pourquoi le risque iatrogénique est considérablement amplifié chez le patient âgé fragile dénutri, et à plus forte raison en situation d'hypercatabolisme inflammatoire : la bio disponibilité et l'élimination de nombreux médicaments sont alors perturbées par modification de leur transport et de leur métabolisme.
1-3-4
Mais il existe bien d'autres manifestations de la
fragilité.
- La fragilité est responsable des tableaux cliniques
atypiques qui font l'originalité et la difficulté de la
pratique gériatrique au quotidien.
- Par l'étendue des atteintes qui touchent plusieurs fonctions, il est facile de comprendre que la fragilité favorise les situations de poly pathologie. La fragilité permet aussi de comprendre que dans un tableau de poly pathologie instaurée, il est utile, dans la mesure du possible, de rechercher le primum movens des dérégulations pour entreprendre avec plus de succès la prise en charge thérapeutique.
- La fragilité étant d'origine exogène et/ou endogène, elle explique l'intrication fréquente des problèmes socio-environnementaux avec les situations purement cliniques.
- Comme nous l'avons déjà suggéré, la fragilité modifie la bio disponibilité et la pharmacocinétique du médicament. C'est notamment le cas pour les bêta mimétiques, les anticholinergiques, les anti-vitamines K, de nombreux antgibiotiques, etc., dont les courbes dose-effet sont très perturbées. Les raisons en sont multiples :
- La fragilisation digestive, souvent associée à des insuffisances digestives partielles, modifie les temps de transit et la vitesse d'absorption du médicament.- Le métabolisme hépatique du médicament est déficitaire en cas de dénutrition dès qu'il existe un hypercatabolisme inflammatoire.
- Le transport plasmatique et la distribution sont souvent perturbés par le déficit en protéines de transports. Le déficit en protéines de transport rend alors très aléatoires les tentatives d'ajustement thérapeutique basées sur la concentration plasmatique totale du médicament
- L'élimination rénale des médicaments est très fréquemment diminuée. En effet, une glomerulo-sclérose liée à l'avance en âge engendre par elle-même un niveau variable d'insuffisance rénale qui reste la plupart du temps infra-clinique. Mais pour des raisons souvent surajoutées au vieillissement naturel (hypertension artérielle, diabète, toxiques, etc.), la proportion des personnes très âgées ayant une fonction rénale réellement normale est très faible (enquête de Baltimore : Danziger, 1990). Il est désormais clairement démontré que le calcul de la clearance rénale par la formule de Cockroft (voir autre chapitre du Corpus) représente une méthode simple, mais indispensable, pour évaluer la fonction rénale chez la personne âgé. Près de 60 % des médicaments ont une élimination rénale prépondérante. Cette notion doit être systématiquement prise en compte en thérapeutique gériatrique ; elle devrait l'être également pour des études de pharmacocinétique spécifiquement ciblées sur la personne très âgée (Dantoine et Al, 2001).
- La poly médication du patient fragile devient difficile à maîtriser : la iatrogénie est alors fortement amplifiée (voir d'autres chapitres du corpus).
- en bref, à tous les niveaux perceptibles, la fragilité engendre une précarité de l'équilibre physiologique, elle même associée à une plus grande précarité du statut social.
C'est aussi l'occasion de signaler que les désafférentations sont plus fréquentes : en cause ou en conséquence elles aggravent le processus.
2
SAVOIR EVALUER UNE FRAGILITÉ : "COMPREHENSIVE GERIATRIC
ASSESSMENT (CGA)"
2-1 LA METHODOLOGIE DU
CGA
Le terme anglo-saxon (CGA) est nettement plus pertinent et
évocateur que la traduction française qui en a souvent
été faite en parlant d'évaluation
gérontologique standardisée (EGS)
- L'évaluation de la fragilité passe (ou passera) obligatoirement par des procédures utilisant des grilles et/ou des tests validés (voir tableau ci-dessous et travaux de Rockwood), utilisables par l'ensemble des équipes médicales formées, et à toutes les étapes du parcours potentiel des personnes âgées : médecine de ville, institution, hôpital, structure d'expertise mises en place par les tutelles (DAMS, CCAS, etc.), centres de prévention du vieillissement, etc.
- L'évaluation doit être globale (voir aussi le chapitre spécifique du corpus sur l'évaluation). Au minimum, l'évaluation doit comporter 3 volets :
2-1-1 L'évaluation
gérontologique standardisée proprement dite
Le tableau ci-dessous n'est pas exhaustif (il existe des
évaluations plus poussées). Son contenu
représente le minimum des évaluations qui doivent
être entreprises (Rockwood 1999, 2000).
|
|
Evaluation situationnelle socio-démographique |
âge, niveau culturel, niveau des aides, niveau de confinement (visites et sorties), qualité de l'habitat et des accès, etc |
Qualité de vie |
échelle Iris ou Iowa (ISAI) |
autonomie |
Grille Aggir, ADL et IADL |
Equilibre marche |
Tinetti, get up and go test ; typage des chutes |
Fonctions cognitives |
- Mini-mental test de
Folstein (version GRECO), |
Statut sensoriel |
échelle de Jaegger + voix chuchotée |
Angoisse/dépression |
geriatric depression scale |
Nutrition |
MNA |
Dentition |
geriatric oral assessment index |
Douleur |
Grilles du document ANAES, echelle visuelle analogique de la douleur |
Tableau : les évaluations
« incontournables » pour la prise en compte des risques de
fragilité. Dans les unités hospitalières
d'évaluation gérontologique il est classique d'ajouter
à ce bilan de risque la mesure de l'albuminémie ainsi
que celle de la clearance de la créatinine par la formule de
Cockroft.
Nota : l'évaluation
gérontologique doit également tenir compte de
l'environnement humain de la personne évaluée : il ne
faut jamais oublier que des situations de fragilité au grand
âge, à plus forte raison lorsqu'il sagit d'un continuum
de la fragilité évoluant sur un terrain où les
pertes d'autonomie sont déjà instaurées, peuvent
entraîner en cascade la fragilisation de l'entourage (cas
classique du conjoint d'une personne fragile et/ou en perte
d'autonomie, qui dépasse son propre seuil de
vulnérabilité pour lui-même se fragiliser).
:
Mais l'évaluation
gérontologique standardisée n'a de sens que si elle est
confrontée à 2 autres volets :
2-1-2 : à l'examen
clinique proprement dit (voir aussi les autres chapitres
concernés dans le corpus),
Il importe de bien comprendre que l'évaluation ne dispense pas
de l'approche médicale classique (anamnèse, mode de
vie, traitements antérieurs, examen clinique) mais au
contraire s'intègre dans cette approche en standardisant un
certain nombre d'éléments :
- à la recherche de toute situation pathologique par un examen gériatrique complet et adapté au cas du patient. Il convient d'être plus particulièrement formé et en éveil face aux manifestations atypiques, souvent frustres, générées par la fragilité,
- à la recherche des petits risques d'incontinence : très souvent les premiers signes d'incontinence sont le signe évocateur d'une fragilité dépassant le stade infra clinique,
- à la recherche des autres conséquences cliniques de la fragilité comme les chutes à répétition, des épisodes confusionnels, des difficultés à accomplir tout acte de la vie quotidienne, etc. Au plan pratique, il peut être utile, de constituer une entité spécifique au cours de l'examen clinique, en regroupant ces tableaux sous le vocable de "syndrome gériatrique",
Bien entendu, il convient de répertorier l'ensemble des pathologies chroniques, de rechercher tous les antécédents médicaux signifiants, ainsi que l'histoire chronologique précise des hospitalisations éventuelles. De façon plus générale, il importe de tenter de retracer la chronologie de l'ensemble des paliers successifs ayant conduit la personne âgée à son état présent.
2-1-3 : enfin le CGA doit
être sytématiquement confronté à une
évaluation précise du niveau de
(poly)médication de la personne âgée,
à la recherche systématique d'un risque
iatrogénique. La recherche des médicaments non
médicalement prescrits est également
impérative
2-2
SAVOIR MAÎTRISER LE CGA, C'EST AUSSI
:
2-2-1 savoir
intégrer le temps comme variable explicative.
- Dans une situation stable de suivi ambulatoire de patients au cours de consultations périodiques, l'évaluation peut parfaitement être effectuée en plusieurs fois, voire sur une année afin de ne pas allonger les temps d'examen.- L'EGS n'a de sens qu'en sachant réévaluer et en sachant comparer les résultats obtenus au cours des évaluations successives (avec analyse des deltas évolutifs pour chaque rubrique mesurée).
- La pertinence de la première évaluation est essentielle. Dans la mesure du possible le premier CGA doit être situé en dehors de toute situation de crise immédiate (un court séjour gériatrique n'est généralement pas le lieu idéal pour pratiquer le premier CGA). Pour juger de la validité de la première évaluation, il peut être utile de comparer les mesures à celles qui auraient pu être obtenues antérieurement, à moyen et plus long terme (par exemple à J-15 et J-365).
2-2-2 savoir mesurer
la fragilité à tous les stades évolutifs
du parcours de vie d'une personne âgée : des risques
initiaux de désadaptation, aux risques d'aggravation des
déficits fonctionnels ; enfin inclure la fragilité
comme facteur d'évolutivité de la dépendance
et/ou des états polypathologiques (y compris jusqu'aux
situations de soins palliatifs).
2-2-3 contribuer à une
stratégie axée sur la prévention : tenter au
travers de l'évaluation de mesurer des risques
prédictifs dans l'évolution de la fragilité.
Cette stratégie préventive est aussi largement
guidée par la bonne connaissance de l'évolution
antérieure de la fragilité.
2-2-4 savoir
distinguer les mesures obtenues par les tests objectifs de celles qui
sont obtenues par des auto questionnaires renseignés par la
personne âgée elle-même. Les réponses de
l'interrogatoire méritent d'être
interprétées avec discernement, car elle sont parfois
sujettes à caution (exemple des ADL décrites par le
malade et celles décrites par un parent proche : " Je fais
tout " ; " elle ne fait plus rien").
Inversement, un double renseignement peut être très
instructif, permettant par exemple de distinguer entre le
"désir de faire" et le "faire au réel" pour une
fonction physiologique ou une acte élémentaire de la
vie.
3 SAVOIR PRENDRE EN CHARGE LES SITUATIONS DE FRAGILITE : AJOUTER LE MANAGEMENT AU COMPREHENSIVE GERIATRIC ASSESSMENT (CGA&M )
A juste titre, les auteurs américains ajoutent
désormais le terme de management à l'évaluation
proprement dite.
En effet le CGA n'a de sens que dans la mise en place d'une
stratégie de prise en charge visant à diminuer, limiter
ou pallier les risques générés par les
situations de fragilité.
Plusieurs recommandations sont à la base de la prise en charge
optimisée des situations de fragilité.
Sans être exhaustif, nous citerons :
3-1 travailler en équipe : se situer dans le comprehensive assessement des anglo-saxons impose une bonne coordination des intervenants, avec la volonté de comprendre une situation en tirant bénéfice des renseignements et des compétences spécifiques de chaque professionnel autour de la personne âgée : les situations de fragilité sont souvent bien trop complexes pour tenter de les appréhender uniquement au travers de sa propre analyse, considérée isolément.Non seulement les professionnels mais aussi les aidants naturels ou les bénévoles doivent être impliqués, tant au cours des procédures de signalement, qu'au cours des évaluations (en particulier pour mieux percevoir les situations antérieures), et encore plus dans les stratégies de prise en charge elles-mêmes. Seul le niveau de compétence effective face à une situation spécifique de fragilité, ainsi que les incontournables limites du temps de prestation, représentent un discriminatif entre le réseau primaire et le réseau secondaire des aidants, au sein d'une équipe gérontologique.
3-2 Savoir hiérarchiser pour agir :hiérarchiser les facteurs de risques, tout autant que les actions de réhabilitation/rééducation à entreprendre pour compenser une fragilité. Définir les priorités impose en outre de tenir compte des niveaux relatifs de motivation de la personne âgée pour les actions qui lui seront proposées en tenant compte de ses habitudes et de ses goûts naturels.
3-3 Dans des cas de fragilité initiales, savoir mettre en oeuvre, à coté des stratégies thérapeutiques conventionnelles, d'autres actions de rééducation et de réhabilitation : conseils nutritionnels, activités motrices et d'équilibre, rééducation de la mémoire, incitation aux activités relationnelles, apprentissage des différentes techniques psychocomportementales et d'entrainement physique facilitant le "coping" (apprendre à faire face), techniques comportementale globale (exemple : bénéfice du TaiChi ; Wolff, 1993), plus simplement apprendre à se relever du sol ou éviter des chutes), etc. maitrise etc
3-4 Aider à la prise de conscience individuelle des risques de fragilité pour obtenir une meilleure participation et une auto-prise en charge volontaire (certains auto questionnaires, comme le test Iowa, sont susceptibles de générer cette prise de conscience chez certaines personnes âgées intellectuellement réceptives )
3-5 Une approche adaptée à chaque cas : ne jamais oublier que la nature multiparamétrique et multidimensionnelle de la fragilité fait de chaque personne âgée, un cas particulier, devant lequel le médecin doit avoir une particulière vigilance et proposer une prise en charge adaptée. Très souvent, il n'y a pas de correspondance exacte entre le niveau de plainte et celui des troubles objectivement observés (mémoire, sommeil, etc...). Dans ce contexte, il ne faut jamais oublier qu'un niveau de plainte élevé sans trouble objectif doit retenir l'attention et susciter une prise en charge, à la fois dans une attitude préventive et d'éveil, mais aussi parfois pour ne pas risquer d'engendrer un état préjudiciable de déception, voire de dépression, chez la personne âgée.
RETOUR
4 FRAGILITE ET DEMARCHE QUALITE : une préoccupation évidente de santé publique. Savoir rester critique.
UN QUESTIONNEMENT
A PRENDRE EN COMPTE AU COURS DES SEMINAIRES DE
FORMATION
Les arguments pour/contre l'identification du concept |
La validation du concept par la littérature (réduction du risque de perte d'autonomie, moins de médicament, moins d'hospitalisation, amélioration des performances, etc.) |
Efficience et fragilité (bénéfice/efficacité confrontée au coût) : Y a t'il des stades de fragilité à privilégier pour la prise en charge ? Existe-t'il des sujets pas assez fragile, ou au contraire trop fragilisés pour bénéficier d'une évaluation de la fragilité ? discussion. |
Le positionnement du concept de Fragilité face aux 3 stades de prévention. |
La place du concept de fragilité dans la pratique du comprehensive assessment |
Evaluer l évaluation, et se poser les bonnes questions : - est ce que ma pratique s'effectue en terme de prophylaxie et de conseils ? |
5
EN RÉSUMÉ, ET POUR CONCLURE
:
La fragilité est un terme communément employé
mais dont il est pourtant difficile de cerner les limites.
Elle peut être grossièrement définie comme un
état instable correspondant à une sous population de
Personnes âgées ayant une désadaptation des
systèmes homéostasiques, aboutissant à un
déficit progressif des fonctions physiologiques et
cellulaires, avec une diminution des capacités de
réserve, et une limitation des aptitudes relationnelles et
sociales. Il en résulte une diminution des capacités
à faire face. La survenue d'un facteur mineur, comme une
pathologie bénigne ou un stress extérieur, peut alors
engendrer un état morbide incapacitant .
L'apparition de la fragilité, et son évolution, sont
très variables selon les individus. Mais dans tous les cas, et
en dehors d'une prise en charge spécifique, la
fragilité conduit à la perte d'autonomie et/ou au
renforcement de situations morbides complexes et de polypathologies.
La PA devenue fragile est exposée à une
morbidité incidente accrue, avec la survenue et l'accentuation
des pertes d'autonomie et des états de dépendance.
Les personnes âgés fragiles ont en commun, non pas une
pathologie déterminée, mais un syndrome secondaire et
surajouté qui impose d'intégrer, en plus de l'approche
médicale, les données physiologiques et fonctionnelles
qui caractérisaient l'état antérieur à la
situation diagnostique et thérapeutique présente.
Cette situation de fragilité est particulièrement
sensible lors d'une hospitalisation. L'hospitalisation va en effet
révèler, ou majorer, une situation de crise
médico-psycho-sociale dont le retentissement sur l'état
de santé, l'autonomie et le devenir social de la PA peut
devenir dramatique : tout retard de prise en charge spécifique
expose à une décompensation rapide.
Si les déterminants de la fragilité sont complexes et
multiples, intriquant des facteurs intrinsèques et
environnementaux, dans tous les cas on retrouve deux
caractéristiques fondamentales : une fatigabilité
fonctionnelle générant des réponses
limitées, une désadaptation aux situations de
stress.
Il importe de savoir appréhender le concept de
fragilité et d'en mesurer les retentissements individuels. En
effet, nous savons désormais que la prise en charge
précoce des situations de fragilité réduit le
risque de perte d'autonomie, le nombre dhospitalisation, la
consommation de médicament, etc., en bout de compte limite les
coûts de santé. En ce sens, le concept de
fragilité ne peut être totalement dissocié des
actions de prévention. Il les justifie pleinement.
L'évaluation de la fragilité nécessite d'avoir
recours à des techniques spécifiques, et en particulier
à l'évaluation gérontologique
standardisée (EGS). Mais plus que le terme francophone d'EGS,
le comprehensive geriatric-assessment des anglo saxons (CGA) doit
mériter toute notre attention. "Assessment" sous-entend un
réelle cotation, moins subjective qu'une évaluation. Le
terme de "comprehensive", sous entend la nécessité de
synthèse, en confrontant les données de la
fragilité au statut global de la personne âgée
(en particulier pathologies et médication), en distinguant
nettement les objectifs du problème situationnel, en
privilégiant la concertation et le fonctionnement en
équipe médicale, en hiérarchisant la conduite
interventionnelle.
En bref, la prise en compte de la fragilité participe
largement à la démarche qualité en pratique
gérontologique. En effet, la prise en compte des
éléments constitutifs de la fragilité permet
d'évaluer plus globalement les besoins des personnes
âgées, et d'intervenir plus judicieusement. Le corps
soignant doit donc bien connaître les caractéristiques
des personnes âgées fragiles et les moyens de les
dépister afin de mettre en place un plan de soin
adapté, personnalisé (management) pour minimiser les
conséquences en terme de polymorbidité et de
mortalité.
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